Avec cette installation, réalisée à la suite de nouveaux bombardements ravageant Beyrouth en 2006, Jocelyne Saab tente à la fois de témoigner (tant des événements récents que du caractère dramatique du resurgissement de la guerre au Liban, alors que le pays se relevait déjà avec de grandes difficultés des conflits de 1975-1991), afin d’offrir une mémoire des événements, et d’envisager une utopie : la réapparition du jardin à Beyrouth. Pour celle qui voyait la ville comme son « jardin d’enfance », comme un Eden désormais perdu, la destruction par les hommes de la capitale libanaise appelle un questionnement sur la paix et un retour à la nature. Son installation permet au spectateur de déambuler dans l’atmosphère lourde imposée par la guerre, illustrée par les images d’archives de ses anciens documentaires sur la guerre qui balisent le parcours, doublées de plans réalisés en 2006, lorsque les ponts de la ville ont été détruits par l’aviation israélienne.

Informations

Installation mix-media ; dispositif vidéo en vingt-deux écrans et postes de télévision ; reconstitution d’un jardin suspendu avec la réalisation d’une passerelle métallique (42m de long) en U ; au centre, une pièce de 3,6 x 3,6m – 2006.

Lieu : National Museum of Singapore

Site Web de l’installation

Jocelyne Saab s’exprime…

« Lorsque dans les années 1990 un homme d’affaires lance une opération publique d’achat sur la ville pour la reconstruire, les bulldozers déblaient les ruines de guerre, et les archéologues ouvrent le ventre de la ville, remettant ainsi à jour les traces des civilisations antiques, le temps de permettre aux habitants de la ville, avant de tout recouvrir d’une couche de béton et d’asphalte, de marcher simultanément sur les voies grecques, romaines et phéniciennes restaurées, et de lire dans la terre l’histoire de leur ville. J’ai vécu cette expérience très émouvante qui a renforcé mon appartenance à cette terre très ancienne. C’était aussi une manière de se transporter en trois dimensions dans le temps. J’ai conçu Strange Games and Bridges tel ce chantier de fouille mis à jour par les archéologues. Je tente de faire ressentir aux visiteurs ce qu’une déambulation dans « le jardin de la guerre » peut infliger aux citadins qui s’y risquent. »

Jocelyne Saab, 2006

Revue de presse

«Voyage dans les bas-fonds de la guerre … ou … L’étrange jeu des ponts »… Pour Jocelyne Saab, qui a l’art de capturer la vie quand elle transperce la mort, cette image nous ramène au texte de Beckett qu’elle cite: «Je ne peux pas continuer… mais il faut continuer…je ne peux pas continuer… je vais continuer…» Mais avant de nous quitter, l’artiste signe son chef-d’œuvre en nous ouvrant sa propre maison, « La maison brûlée », où elle a vécu son enfance, participant par un petit souffle autobiographique à la souffrance de sa ville qu’elle veut calmer dans ses tourments et sa douleur, afin que le cauchemar ne se remette pas en place, afin que personne ne réussisse de nouveau à faire tourner la clé de la boîte de musique.

Pour cette exposition qu’elle lance au Musée de Singapour et qui compte faire le tour du monde, elle tente de «réparer» les ponts en les reproduisant en construction dans un «jardin suspendu». Le choix onomastique vient de l’étymologie arabe du mot «jardin» (jannat), qui signifie «paradis». Un paradis certes perdu, dont l’artiste ramasse les débris en une remontée rétrospective dans les fragments de ses bobines.
Suspendu, le jardin est comme le temps, figé à Beyrouth où tout le monde attend.»

Rita BASSIL EL-RAMY, L'Orient le jour, 30 mars 2007