Quelques jours après le massacre de la Quarantaine, dans un bidonville à majorité musulmane de Beyrouth, Jocelyne Saab suit et rencontre les enfants rescapés, marqués par les visions horribles des combats qui se sont déroulés sous leurs yeux. En leur offrant des crayons pour dessiner et en les engageant à jouer sous l’œil de sa caméra, la réalisatrice se retrouve face à un constat amer : ils ne connaissent plus d’autre jeu que celui de la guerre, qui, rapidement, devient pour eux aussi un métier.

Ce film, qui dénonce la violence et les massacres, a valu à Jocelyne Saab une condamnation à mort par les phalangistes.

Distribution

Réalisation : Jocelyne Saab
Image : Hassan Naamani
Montage : Philippe Gosselet
Production : Antenne 2
Droits de diffusion : Nessim Ricardou-Saab.
Diffusé sur Antenne 2 le 17 avril 1976
Prix du Jury Catholique à Oberhausen (Allemagne)

Jocelyne Saab s’exprime…

« C’était en 1976. Le massacre s’est déroulé à Beyrouth dans le quartier de la Quarantaine. Les combattants ont bu le champagne sur les
cadavres. Ils parlaient de la « dératisation » de ce bidonville à la périphérie de Beyrouth. Quelle langue choisir pour parler à des enfants alors qu’ils viennent d’échapper à un massacre ? Comment les approcher sans en faire des bêtes de cirque ? Mais aussi, comment établir une complicité avec ces enfants libanais et palestiniens meurtris ? Comment leur tendre la main de l’espoir ? »

Propos recueillis par Zahraa Mortada à Beyrouth en 2011.

« Après Le Liban dans la tourmente, je disposais d’une caméra et d’une voiture, j’avais ma maison. C’est vrai que je n’avais pas de problèmes d’argent, sans en avoir beaucoup.Et donc, je prends le chef op’ et je lui dis : allez, on y va! Car j’avais passé la nuit à discuter avec les journalistes qui revenaient de La Quarantaine (le camp de réfugiés qui venait d’être pris par les phalangistes), et j’avais vu la fin du massacre. En plus, j’avais même appris qu’une copine à moi,sans doute influencée par son entourage, s’était amusée à le filmer du côté des tueurs. Ensuite, elle a beaucoup souffert pour d’autres raisons.

Quand le bidonville a été pris d’assaut, beaucoup d’adultes ont été abattus froidement, et une fois le camp de réfugiés conquis, les assaillants ont sabré le champagne,tout près des cadavres. Des enfants ont survécu. Quand ils sont sortis la nuit, je n’avais ni lampe ni rien, mais j’ai suivi le parcours des enfants, pour savoir où ils allaient car ils ne pouvaient plus rejoindre le bidonville de La Quarantaine qui venait d’être rasé et leurs parents avaient été exécutés. J’ai vu qu’ils allaient dans les chalets des plages chics de la ville,Saint Simon, Saint Michel, qui sont devenus des bidonvilles qui existent encore aujourd’hui.

Donc, j’achète du papier, des crayons de couleur, et je vais à leur rencontre, dès le lendemain. Le temps d’appeler mon chef op’ de la télé, Hassan, qui travaille avec moi, je leur dis : je viens vous filmer dimanche, vous me montrerez vos jeux d’enfants. Et ils jouent à la guerre, sur la plage,mais cela devient vite très violent, tellement que je suis obligée de leur dire d’arrêter de jouer et je dois en amener deux à l’hôpital, pour se faire recoudre, car ils s’étaient blessés. Ensuite, on revient. Et c’est là que j’ai le moment le plus fort. Ils étaient un peu penauds, car trois des leurs avaient été blessés, mais c’était comme s’ils ressortaient la violence environnante qu’ils avaient reçue et accumulée en eux, n’oublie pas qu’ils sortaient d’un massacre. Je les retrouve entre les chalets disposés comme un petit village chic et je leur propose de continuer à tourner. Et là, les enfants blessés et traumatisés par ce qui venait d’arriver se libèrent et miment le massacre. Et je le filme.

Je garde précieusement mes boîtes, je prends le premier avion pour Paris, fonce à la télévision. A l’époque on faisait comme ça : soit on développait en douce à la télé parle biais de gens qui étaient nos copains, soit on suivait la procédure traditionnelle, ce que j’ai fait cette fois-là. Cette fois-ci je savais que j’avais du costaud. Je vais voir mon rédac’ chef (Jean-Marie Cavada) et je lui dis : « développez la pellicule 16mm, regardez les images, et si ça vous plait,je monte le film ». Ils développent, n’en reviennent pas, me donnent une monteuse qui travaille dans le style télé. Et au fur et à mesure, des journalistes passent dans la salle de montage et me demandent si j’ai mis en scène les enfants.Comment aurais-je pu faire ça ? »

Propos recueills par Olivier Hadouchi à Paris en 2012.

Revue de presse

« Un reportage bouleversant nous montre des enfants libanais jouant à la guerre, avec un réalisme saisissant, et d’autres apprenant, à six ans, le maniement des armes. Un document terrible, et très émouvant. »

Télérama, 17-23 avril 1976

« On retiendra les visages des enfants de Beyrouth et cette phrase d’un gosse « je veux être fedayin pour venger mon père » résonnera longtemps dans nos mémoires … »

La Croix

« Reportage bouleversant, réalisme saisissant, un document terrible … »

Télé 7 jours