En juillet 1982, l’armée israélienne assiège Beyrouth. Quatre jours plus tôt, Jocelyne Saab voit sa maison brûler et 150 ans partir en fumée. Elle se pose alors la question : quand tout cela a-t-il commencé ? Chaque lieu deviendra alors une histoire et chaque nom une mémoire.

« Voilà, c’est ma maison. Enfin, ce qu’il en reste… Et je peux plus vous parler des autres, c’est cynique, mais… Voilà, là c’est ma chambre, là nous préparions un film. Elle était sur deux étages. Au fond, ce n’est pas grave, parce que ce n’est que des murs après tout, et nous sommes tous sortis vivants. A penser au nombre de morts qu’il y a depuis quelques jours. D’une part, à cause des bombardements des Israéliens. A cause des bagarres intérieures. Je ne sais, on se demande, je me pose des questions. L’essentiel c’est de survivre, de vivre.C’est vrai que cette maison, c’est la tradition. Et ça fait quelque chose au cœur, parce que c’est 150 ans d’histoire. C’est mon identité aussi. L’identité de tous les Libanais qui perdent leur maison, leur bien. Et comme on ne sait pas à qui se référer, on ne sait plus qui on est. » Jocelyne Saab, entretien d’ouverture de Beyrouth, ma ville

Distribution

Réalisation : Jocelyne Saab
Commentaire : Roger Assaf
Image : Jocelyne Saab
Assistant: Mirwan Khoury
Montage : Philippe Gosselet
Illustration musicale: Rafic Boustani
Avec la participation de : Hassan Naamani, Jean-Marie Anglès, Dina Haidar, Boutros Rouhana
Production : Jocelyne Saab
Droits de diffusion : Association Jocelyne Saab

Jocelyne Saab s’exprime…

« Les films d’information que j’ai faits pour la télé, donc pour qu’ils soient vus par le plus grand nombre possible, m’ont conduite, petit à petit, à préférer la sensibilité des gens plutôt que leur parole : les regarder vivre, les regarder faire. Je pensais comme cela, le film serait plus fort ; et j’avais raison : le dernier film que j’ai fait seule, sans opérateur, pendant le siège de Beyrouth, sous les bombes, était comme une expérience personnelle.
Je ne savais pas ce que j’allais faire de ce film, j’ai pris la caméra comme un appareil photo pendant deux mois. J’ai voulu montrer ce défi des habitants vis-à-vis du siège, de cet encerclement : je n’ai montré que la solidarité, cette euphorie de l’utopie où tout le monde s’occupe des choses essentielles, l’eau, le pain, l’électricité, et où les gens se regardent vraiment dans les yeux.
Dans ce film, il y a des situations, des regards, des gestes et très peu de paroles : une minute où un homme parle, mais aucune interview. La volonté de survie, ce défi vis-à-vis d’une violence qu’on nous impose, le refus de partir, créent certainement quelque chose de très fort, que j’ai voulu montrer. »

Propos recueillis par Sylvie Dallet à Paris en octobre 1983.

Revue de presse

« Ce film pourrait s’intituler « Apocalypse Ouest ». Ce n’est plus du reportage mais un « symbolique poème » mis en images et récité à la première personne. Terrible réflexion sur une guerre presque oubliée. En retrouvant l’émotion, ce sentiment commun à tous ceux qui ont vécu la différence, Roger Assaf redonne à l’événement tout son poids. »

« Beyrouth comme on l’avait rarement filmé : dans les dédales de ruelles aux façades lépreuses constellées d’éclats d’obus, une Libanaise promène son regard. Naturellement attachée à ces murs qui l’ont vu grandir, Jocelyne Saab a ramené du Liban un reportage d’une rare beauté. Image de cette « ville putain », de cette « ville bordel », taxée de la vénalité politique la plus effrontée, rongée par un fanatisme aveugle mais qui retrouve sous ces images un peu de son humanité. De sa vérité. Texte puissant, lyrique de Roger Assaf, et enchaînement de plans admirablement choisis par une jeune cinéaste ».

Le Matin, 11 février 1983

« Instantanés d’une ville en guerre, d’une ville détruite, d’une ville martyr. Texte puissant, poétique, hommage d’un de ses habitants à Beyrouth-Ouest, ville qui meurt, qui va mourir bien plus encore après Sabra et Chatila […] Ici, pas de regard froid. La souffrance, l’horreur, la joie, le plaisir de survivre, l’expérience, la vraie vie, racontée par ceux qui l’ont vécue, ou la vivent encore. Pas d’équilibre des mots, des images. Pas question d’atténuer le choc des mots, l’impact des images. Pas de thèse, non plus. On n’explique rien. On montre. Et ça suffit. […] Beyrouth, ma ville est plus qu’un reportage. C’est un film-chant. Superbe. »

Télérama, 2 février 1983